Le capitalisme, une définition

par Christophe Koessler

Résumé

Le capitalisme est un système économique mis en place progressivement à partir du XVIème siècle. Il est un rapport d’échange social particulier mis en place par et au bénéfice d’une minorité de la population qui organise la production et les échanges.

1) Il repose en premier lieu sur la généralisation de la propriété privée des biens économiques (« moyens de production »), en vertu de laquelle des propriétaires privés s’arrogent

  • le pouvoir de décision liés à l’activité économique (que produire, comment produire, etc.)
  • les revenus du travail produits par d’autres (la majorité).

2) Ce système repose ensuite sur le travail salarié à large échelle contrôlé par des propriétaires privés. Le travail y est une marchandise. (Marx parlait de « salariat »).

Il dépend aussi de l’existence des marchés (des biens, de l’argent et du travail). Il peut cependant exister des marchés des biens dans un système non capitaliste.

3) Une des caractéristiques principales et spécifiques du capitalisme est que le capital a fini par y être utilisé dans le but premier de son auto-expansion. Le but de l’activité économique est avant tout le profit (plus-value extraite du travail des salariés et de l’échange inégal), laissant de côté les autres objectifs possibles de l’économie: reproduction de la vie, création culturelle, développement personnel, santé, etc.

Il est donc un système économique, mais un système qui conditionne profondément les autres dimensions de la vie humaine et les relations sociales entre les groupes et les individus. Il est accompagné d’une idéologie (ou esprit) fondée sur l’individualisme, l’utilitarisme, le productivisme, la priorité donnée aux biens matériels sur les autres dimensions de la vie sociale, et la croyance fondamentale selon laquelle la libre poursuite par chacun de son intérêt individuel conduit au bien de tous.

Le capitalisme, comme le féodalisme et l’esclavagisme avant lui, organise la société en classes sociales. Dans le capitalisme, les deux classes principales sont celle des détenteurs des capitaux, les propriétaires, et des travailleurs (dont le principal revenu est le salaire).

Un système économique historiquement situé

Le capitalisme est un système économique basé sur la propriété privée des moyens de production (dit de manière plus moderne : « des biens économiques »). Il s’est développé à partir du XVIème siècle sur la base des échanges marchands et de l’accumulation initiale de capital permis par la colonisation, le pillage des Amériques et l’esclavage[1]. Cette accumulation « primitive » a permis aux marchands d’acheter des terres et des instruments de production dépassant leur propre capacité d’utilisation. Ces achats ont l’effet de constituer une propriété privée des moyens de production et de libérer une force de travail cherchant à s’employer contre le versement d’un salaire. Une grande partie de la paysannerie et des artisans a en effet été expropriée (entre autres à travers le mouvement des enclosures) et est ainsi devenue une réserve de main d’œuvre qui n’a eu d’autre choix que vendre sa force de travail à la bourgeoisie et rejoindre les fabriques et manufactures mises en place par celle-ci.

Les spécificités du capitalisme par rapport aux modes de production antérieurs

Ainsi s’est instaurée une double relation entre le capital et le salariat[2] qui constitue une première spécificité historique du mode de production capitaliste. Le capital est la mise de fonds monétaire dans l’emploi de travail salarié, créateur d’un surproduit approprié par les détenteurs de capitaux. Le salariat est la mise en œuvre par le capital d’une force de travail faisant l’objet d’un échange marchand. En ce sens, la reproduction du capital reproduit le salariat, et réciproquement.

Dans ce cadre, le capitaliste ne paiera au travailleur que le minimum requis dans le cadre du marché du travail et des rapports de force entre les syndicats et le patronat. Le salaire ne comprend jamais l’entièreté du surplus dégagé par le travail (la plus-value), qui est réinvesti ou accaparé personnellement par l’entrepreneur capitaliste et/ ou les actionnaires d’une entreprise. Bien sûr, les travailleurs ont réussi à obtenir, à travers d’âpres et longues luttes, à réduire plus-value qui leur est extorquée, notamment au sein du compromis keynésien d’après-guerre, mais le travail reste largement exploité par le Capital.

Rappelons également que les richesses ne peuvent être créées que par le travail. Le capital n’est rien d’autre que du travail accumulé[3]. Les détenteurs de capitaux ne créent pas de richesse avec leurs capitaux mais emploient du travail en vue de l’obtention d’un profit (plus-value) réinvesti à son tour dans la production (après ponction d’un « revenu » variable pour les capitalistes eux-même).

Par conséquent, loin de constituer la fin de l’exploitation, la révolution bourgeoise et l’avènement du capitalisme ont transformé la nature de la forme d’exploitation d’une majorité par une minorité, qui caractérisait également les modes de production antérieurs depuis environ 5000 ans.

Dans le système esalavagiste, l’esclave appartient au maître et le travail du premier est entièrement approprié par le second (en dehors de ce qui lui est absolument nécessaire pour sa survie).

Dans le système féodal, le serf peut posséder une partie de ses instruments de production, mais ne possède pas la terre qu’il travaille. La terre appartient au Seigneur et en vertu de cette propriété, le Serf doit lui verser un très lourd tribu en travail.

Dans le système capitaliste, le travailleur est « libéré » de son asservissement au Seigneur, mais est contraint de vendre sa force de travail au capitaliste, seul détenteur des moyens de production (matière première, outils, machines, bâtiments, technologie). Si le travailleur est formellement libre, il est forcé par manque d’alternatives de permettre à un autre, le détenteur des capitaux nécessaires à la production, de s’approprier le surproduit de son travail et ainsi de dégager un profit qui ne lui appartient pas. Le mode de production capitaliste institue donc la séparation entre les producteurs directs et les moyens de production (les biens économiques).

La contrainte imposée, l’exploitation et l’extorsion du surtravail des travailleurs est donc cachée au sein du système capitaliste. Celles-ci ne dépendent plus en effet de la soumission physique directe du producteur au détenteur de la propriété. La violence directe exercée par le maître a disparu pour être remplacée par une simple contrainte, néanmoins incontournable, le pouvoir économique du détenteur de propriété[4]. Le travailleur a le choix entre être enrôlé par le capitaliste ou vivre dans l’extrême misère, voire disparaître. Au sein du système, cette contrainte est cachée, voire accepté comme « naturelle » et non comme le résultat de processus historique.

La société se trouve ainsi divisée en deux classes principales déterminées par leur position dans le système de production: ceux qui possèdent les moyens de production (une petite minorité) et ceux qui ne les possèdent pas (la grande majorité).

But : le profit – la logique du capitalisme

Ce qui fait une autre spécificité historique du capitalisme, c’est que le capital a fini par y être utilisé d’une manière bien particulière, il en est venu à être employé dans le but premier de son auto-expansion[5]. Dans ce système, les résultats de l’accumulation passée ne deviennent du capital que dans la mesure où ils sont réutilisés en vue d’une accumulation supplémentaire de richesse. C’est cette quête incessante et auto-entretenue d’une accumulation toujours plus grande de la part des détenteurs de capitaux, ainsi que des relations qu’ils étaient amenés à établir avec d’autres pour les réaliser qui caractérisent ce que nous appelons le capitalisme. C’est la remise en jeu perpétuelle dans le circuit économique dans le but d’en tirer un profit, c’est-à-dire d’accroître le capital qui sera à son tour réinvesti, qui est la marque première du capitalisme.

Ainsi, la logique du besoin est remplacée par la logique du profit, et la valeur d’usage des marchandises remplacée par la valeur marchande.

La logique de la production capitaliste[6]

Dans les sociétés pré-capitalistes, l’argent n’est utilisé que comme moyen d’échange pour obtenir des valeurs d’usages, des marchandises dont les gens avaient besoin (Marchandise- Argent- Marchandise ou M-A-M). L’argent est l’unique intermédiaire dans la transaction. Dans le système capitaliste, la circulation des biens prend une forme plus complexe: Argent – Marchandise – Argent+ ou A-M-A+. L’argent est investi pour produire des marchandises qui sont échangées contre davantage d’argent.

De manière plus complète, la production capitaliste peut-être schématisée ainsi:

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Un fabricant utilise la somme d’argent A pour acheter les marchandises M nécessaires à la production P qu’il veut mettre en œuvre: moyens de production (mp) et force de travail (ft); il obtient une nouvelle marchandise M’ dont la valeur est supérieure à celle de M; d’où il tire, en la vendant sur le marché, le profit A’ – A. Il peut être amené à partager cette plus-value avec le banquier qui lui a prêté l’argent (intérêt) et avec le négociant qui écoule sa marchandise.

Les trois « institutions » du capitalisme

Le capitalisme repose sur premièrement sur une institution fondamentale: la propriété privée des moyens de production. Formellement, dans ce système, tout individu ou groupement peut s’approprier par héritage, talent, travail ou chance (par ex exemple: opportunités du marché, pouvoir agir au bon moment) (dans la réalité également par tromperie, vol, extorsions, manœuvres politiques, etc.) une quantité illimitée de moyens de production grâce auxquels il pourra mettre d’autres personnes au travail et dégager un profit en vue d’une accumulation plus grande.

Comme on l’a vu plus haut, le travail salarié (le salariat) est également une institution essentielle du capitalisme. Il est à la base d’un système de l’appropriation de la plus-value et de la dynamique du capitalisme. Il s’agit de la marchandisation du travail.

A noter toutefois que l’exploitation du travail par les capitalistes ne passe pas uniquement par le travail salarié. De nombreux travailleurs non salariés sont exploités à travers les produits qu’ils sont contraints de fournir sur le marché à prix très bas et à travers le travail non rémunéré, notamment le travail essentiel accompli à la maison surtout par les femmes.[7]

Les marchés représentent le troisième pilier du capitalisme On ne peut en effet concevoir une économie capitaliste sans cette allocation directe des ressources et des biens en fonction des mécanismes de l’offre et de la demande. Les marchés sont à opposer à l’allocation de ces mêmes biens et ressources par des mécanismes politiques (planification centralisée ou décentralisée).

Ainsi, si l’on retient ces trois institutions comme les trois piliers du capitalisme, une économie ne comprenant pas une de celle-ci ne sera pas considérée comme capitaliste. Ainsi, une société composée de petits paysans et d’artisans propriétaires de leurs moyens de production (terre, locaux et outils essentiellement), qu’ils utilisent de façon personnelle sans avoir recours au travail salarié, n’est pas considérée comme capitaliste. De même, une société féodale dans laquelle les terres sont la propriété du seigneur et travaillées par des serfs n’est pas capitaliste puisque cette société ne dispose ni de marchés (généralisés), ni de travail salarié.

A relever également que dans le système capitaliste globalisé, de nombreuses communautés (paysannes pour la plupart) ne sont pas organisées sur un mode capitaliste mais sont pourtant bel et bien exploitées par lui à travers les échanges inégaux (quand il ne s’agit pas purement et simplement de pillages) que ces communautés entretiennent avec des entreprises capitalistes du même pays ou de l’extérieur. Ces communautés font donc partie intégrante (malgré elles) du système capitaliste local et/ou mondial même si elles s’organisent sur une base différente.

Soulignons toutefois que certaines formes de « socialisme » ou de « communisme » ont été soumis à une logique capitaliste. Lorsque le but de l’entreprise ou de l’Etat revient principalement à faire du profit ou que l’entreprise, soumise à une concurrence féroce, doit avoir recours à la (sur)exploitation du travail pour survivre, en dépit d’une forme de propriété sociale de moyens de production, peut-on encore parler de socialisme ? Lorsque la propriété d’Etat est utilisée pour enrichir (même modestement) une classe d’administrateurs au dépend de la classe travailleuse et /ou que les décisions sur l’activité économique sont prises aussi par une minorité de directeurs d’entreprises et de ministres dans leurs propres intérêts, on retrouve des logiques capitalistes.

[1] Michel Beaud, Histoire du Capitalisme de 1500 à 2000, Seuil, 5ème édition mise à jour, Paris, 2000.

[2] Wladimir Andreff, Profits et structures du capitalisme mondial, Calmann Lévy, Paris, 1976, p. 25.

[3] La croyance qui attribue de la création de valeur au Capital avait été qualifiée de « fétichisme de la marchandise » par Marx. Pour une explication de la théorie économique (la théorie marginale de la valeur – marginalist theory of value) attribuant au facteur capital (et donc au capitaliste) une contribution propre et sa réfutation, voir : David Schweickart, After Capitalism, Rowman and Littlefield Publishers, Lanham, Oxford, 2002, pp.24-31.

[4] Marx : « Mais pourquoi le salarié fait-il ce marché ? Parce qu’il ne possède rien que sa force personnelle, le travail à l’état de puissance, tandis que toutes les conditions extérieures requises pour donner corps à cette puissance, la matière et les instruments nécessaires à l’exercice utile du travail, le pouvoir de disposer des subsistances indispensables au maintien de la force ouvrière et à sa conversion en mouvement productif, tout cela se trouve de l’autre côté. «  in :  « Pages de Karl Marx  – vol 1 », de Maximilien Rubel, Payot, Paris, 1970, p. 161 (passage extrait du Capital volume I.)

[5] Immanuel Wallerstein, Le capitalisme historique, La Découverte, Paris, 1990, p. 14.

[6] Voir Michel Beaud, op. cit, p.113.

[7] A ce sujet voir notamment: Maria Mies, Veronika Bennhold-Thomsen, The subsistence perspective: beyond the globalised economy, Zed Books-Spinifex Press, London, New York, Australia, 1999, p.11 et pp. 165-181 et Immanuel Wallerstein, Le capitalisme historique, La Découverte, Paris, 1990, p. 21-28. Le travail des femmes à la maison est un travail de haute valeur car il permet de « reproduire » la force de travail (pour n’en rester qu’à des considérations purement économiques…).