L’économie participaliste de Michael Albert

Fiche de résumé par Christophe Koessler

Le projet d’économie participaliste (Ecopar) propose non seulement d’abolir la propriété privée et d’adopter l’autogestion des travailleurs, mais aussi de remplacer le marché par une procédure de planification décentralisée et démocratique1.

Ils soutiennent aussi qu’il est indispensable d’opérer d’autres changements pour répartir le pouvoir dans la société : a) remettre en cause la division ultra-spécialisée du travail ; b) d’adopter des règles permettant de rémunérer les personnes en fonction de l’effort qu’elles fournissent (et non en fonction de la quantité et de la qualité des biens qu’elles produisent) ; c) d’entériner le principe général selon lequel chacun doit avoir un impact sur les décisions prises qui soit proportionnel au degré auquel il est affecté par cette décision (appelé curieusement autogestion par l’auteur).

Conseils de travailleurs et de consommateurs

Les travailleurs s’organisent librement au sein de conseils de production. Ils y déterminent eux-mêmes ce qu’ils désirent produire et s’organisent sur le mode de l’autogestion. Chaque travailleur jouit du même poids décisionnel au sein de l’entreprise dans lequel il travaille. Les conseils existent à plusieurs niveaux : équipes de travail, entreprises, branches d’industrie, et sont fédérés au niveau local, régional et national.

De leur côté, les consommateurs sont réunis ont sein de conseils de consommation. Chaque personne, famille ou foyer participe à un conseil local (neighborhood council), qui lui-même appartient à une fédération des conseils locaux à l’échelle d’une région, et ainsi de suite jusqu’à la formation de conseil de consommation national.

Planification démocratique

Le marché est remplacé par une procédure démocratique de rencontre de l’offre et de la demande.

En simplifiant, les conseils de consommateurs et de producteurs établissent chacun de leur côté des estimations approximatives de ce qu’ils aimeraient respectivement consommer et produire (chaque personne soumet ses désirs en détails aux conseils, qui se chargent de compiler les données). Les plans sont comparés par un bureau de facilitation (iteration facilitation board)), des prix indicatifs sont produits, l’offre et la demande excédentaires ou déficitaires sont identifiées et les plans sont retournés aux conseils pour ajustement. Le même processus peut être réalisé à plusieurs reprises jusqu’à obtenir un plan cohérent au sein duquel l’offre correspond à la demande.

Grâce à cette procédure et à d’autres processus de décision (trop long à résumer ici), les producteurs et consommateurs sont amenés à prendre en compte les effets de leurs transactions sur les autres communautés et sur l’environnement (les externalités du marché).

Cette dimension de l’écopar a fait l’objet d’un travail très approfondi des deux auteurs qui ont formalisé le modèle au sein de deux études (Albert, Hahnel, 1991 a et b).

Tout de suite – Des réformes « non réformistes » aujourd’hui :

Mise en place de conseils de producteurs et de consommateurs, revendiquer l’accès à l’information à tous les niveaux. Prendre en compte les externalités (pollution, bruit, etc) – intervenir pour que le prix du marché intègre ces dimensions. Subventionner les « produits » qui entraînent des externalités positives: parcs, santé publique, logement social, éducation etc. Réclamer des informations qualitatives sur les produits: labels précis, publicité non mensongères. Développer les investissements sociaux. Démocratiser les budgets. Moins de travail, plus de temps libre. Coordinations de mouvements militants en vue de mise en commun de ressources et de répartition participaliste entre eux.

Propriété de tous

Pour Albert, il convient simplement de retirer la propriété des moyens de production de la scène économique. Autrement dit, personne ne possède les moyens de production. Ce qui revient à dire inversement que tout le monde les possède à part égale). Pour lui, lorsque l’allocation des moyens de production et la distribution de leur usage est administrée par un processus démocratique relevant des conseils de producteurs et de consommateurs, la question de la propriété ne se pose plus : « la question de la propriété des moyens de production n’existe même plus en tant que concept ».

Remise en cause de la division du travail- l’« ensemble équilibré de tâches »

Partant du constat que différents types de travaux (jobs) ont des conséquences très différentes sur la qualité de vie et le pouvoir réel de décision au sein de l’entreprise, Albert et Hahnel proposent de modifier la division du travail existante en partageant les tâches entre les travailleurs de manière équilibrée. Ainsi, chaque travailleur serait amené à accomplir des tâches agréables et « formatrices » (empowering) une partie du temps, et des tâches plus contraignantes et sans valeur ajoutée une autre partie du temps. Chaque poste de travail serait ainsi composé d’une variété de tâches à valeur égale pour tout un chacun (ensemble équilibré de tâches).

Il ne s’agit pas de mettre un terme à la spécialisation, qui reste essentielle, mais de permettre le développement des capacités de chacun (qui sont sous-développées pour une majorité des gens au sein du capitalisme).

Tout de suite: concernant les travailleurs les plus mal lotis: revendiquer des améliorations sur les lieux de travail comme la baisse des cadences, des opportunités de formation. Conquérir le droit de changer régulièrement de poste lorsque le travail est particulièrement pénible ou routinier, etc. Imposer une partie des corvées à ceux qui jouissent d’un monopole sur les emplois très prisés…. Exiger des réformes qui favorisent l’accès aux connaissances et à l’information, des relations sociales enrichissantes, le développement des compétences nécessaires pour prendre des responsabilités et obtenir une influence directe sur le processus décisionnel. Application de ces principes dans le travail militant.

Rémunération

La rémunération selon l’effort consenti est un principe essentiel à l’écopar. En effet, Albert soutient que ce critère est le plus équitable pour rémunérer le travail individuel. Le fait de rémunérer quelqu’un en fonction de la quantité et de la qualité des biens qu’il produit n’est pas compatible avec l’équité telle qu’ils la conçoivent, puisque personne n’est responsable pleinement de son talent ou de ses capacités physiques et intellectuelles. Ceux-ci ne devraient donc pas être rémunérés. Seul l’ «effort» et le sacrifice, évalués par le travailleur lui-même et ses collègues (avec un système de contrôle et de réclamations), doivent être pris en compte dans l’évaluation de la rémunération auquel le travailleur a droit (le partage des profits de l’entreprise).

Tout de suite:  Redistribuer les revenus à travers la taxation du profit, de la fortune, de l’héritage, des produits de luxe mais aussi des revenus élevés. Discrimination positive. Plein emploi (les chômeurs obtiennent immédiatement un revenu et un emploi grâce aux politiques de taxation). Salaire minimum. Services publics augmentés et améliorés + subventions produits de première nécessité (appelé ici Revenu socialisé). Redistribution du produit des impôts du haut vers le bas en prenant en compte l’effort et le sacrifice de chaque emploi, augmentation des salaires. Application de ces principes dans les collectifs militants.

Autogestion

La proportionnalité du pouvoir de décision de chacun en fonction de l’impact que cette décision a sur lui est également considérée comme un principe essentiel à retenir dans toute réunion des conseils de consommateurs et producteurs et plus généralement au sein de la société.

Tout de suite: mise en place de conseils démocratiques de consommateurs et de producteurs. Démocratiser l’accès à l’information (ex: rendre public les informations détenues par les entreprises). Démocratiser le processus décisionnel sur le lieu de travail (le droit d’intervenir directement dans les décisions des entreprises et des collectivités publiques). Augmenter le pouvoir des consommateurs sur les questions de production. Démocratiser les budgets publics (transparence et participation des conseils à l’élaboration des budgets). Instituer l’autogestion dans nos mouvements.

Un programme participaliste?

  1. Réduction de 25% du temps de travail. Taxation à 25% des revenus du capital. Réduction de 25% des salaires et primes des 25% les mieux payés, salaire inchangé pour les 50% se trouvant au milieu de la fourchette salariale, et augmentation de 25% des salaires des 25% les mois payés.s
  2. Interdiction de recourir à des heures supplémentaires tant qu’il y a des demandeurs d’emploi. Ensuite, heures supplémentaires rétribuées le double que les heures normales.
  3. Quiconque le souhaite sera autorisé à effectuer plus que son temps de travail normal à la condition de le faire dans le cadre d’un service spécial initié et subventionné par les pouvoirs publics, administré localement par les travailleurs et les consommateurs, et consacré, au niveau local, à l’amélioration de la santé, de l’éducation, des services sociaux, du logement ou d’autres services de base à destination des populations défavorisées. , sur la base d’un salaire s’élevant (pour commencer) au double du minimum.
  4. Devront faire l’objet d’un investissement prioritaire les programmes sociaux tels que :
        • formation des chômeurs afin de leur donner accès à des emplois nouvellement créés ;
        • formation des travailleurs occupant des postes sans qualification afin qu’ils puissent effectuer le travail spécialisé laissé libre par la réduction des responsabilités de ceux qui occupaient jusqu’alors des postes de niveau supérieur.
        • Supervision de chaque lieu de travail par les syndicats et des conseils de travailleurs ;
        • Recherche et action pour supprimer les tâches socialement nuisibles telles que la publicité…

Les auteurs du modèle proposent des réponses à de nombreuses critiques sur internet (https://zcomm.org/debates-parecon/… , ainsi que des débats par rapport à d’autres propositions alternatives https://zcomm.org/zcom-debates/

NOTE :

1 Résumé écrit sur la base de Michael Albert, Participary economics, Z books, 2003 et Michael Albert, Après le capitalisme, Agone, 2003. Dans les années 1990 Albert et Hanhel