Construire le travail décent comme bien commun

Extrait de Thomas Coutrot, Jalons vers un monde possible, éditions Le Bords de l’eau, Paris, 2010.

La socialisation démocratique des décisions économiques est nécessaire pour maîtriser la finance, pour préserver l’environnement et les ressources. Mais elle s’impose également pour permettre l’accès de tous à un «travail décent», pris ici dans un sens plus large que celui du Bureau international du travail : un travail certes correctement rémunéré, avec des droits sociaux, mais aussi des droits politiques, ceux d’intervenir dans la définition des conditions et des finalités mêmes du travail.

Décider collectivement, avec les collègues de travail, les organisations syndicales et les parties prenantes intéressées, ce que l’entreprise doit produire et comment elle doit produire ; participer à l’organisation du travail et à l’élection des dirigeants; délibérer ensemble sur la répartition des fruits du travail et les choix d’investissement: ces droits sont constitutifs d’un travail véritablement décent. Un travail qui permet la réalisation de soi, c’est celui dans lequel le travailleur peut faire valoir sa conception de la qualité du travail, la mettre en débat face à d’autres conceptions.

On retrouve ici sous l’angle du travail ce qu’on avait établi en partant de la question de la régulation économique: la démocratisation des rapports sociaux, ici des rapports de production, est la clé de voûte d’une réorientation sociale et écologique de la société.

Le travail décent devrait être considéré comme un bien commun, indispensable aussi bien au déploiement de la démocratie qu’à la préservation de la santé des hommes et de la nature. Les institutions économiques devraient donc garantir à chacun le droit à un travail décent, selon les mêmes principes qui devraient prévaloir pour d’autres biens communs déjà évoqués, la stabilité financière solidaire et les ressources naturelles: une gouvernance démocratique, bien contrôlée par les acteurs locaux, sous l’égide de règles communes décidées par les pouvoirs publics. Alors la subordination salariale apparaîtra sans doute aussi barbare que l’esclavage nous le semble aujourd’hui.